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Le moi et la question du sujet

Après Clinique des névroses, paru en 2003, c’est un nouveau Séminaire de Solange Faladé qui est publié grace à un rigoureux travail de transcription.

Solange Faladé
Séminaire 1988-1989. Éditions Economica, Anthropos psychanalyse, 2008

Le moi et la question du sujet explique la naissance et la constitution du sujet humain telles que Lacan les a théorisés à partir de sa pratique. Nous suivons l’intervention de Lacan lorsqu’il emprunte aux sciences dites affines (linguistique, logique, mathématiques) des instruments qu’il applique dans le champ de la psychanalyse. Reprenant et réinterprétant ainsi les constructions et mythes freudiens, il éclaire comment , émergeant par la parole, le sujet se met en place,et subit alors les contraintes du signifiant qui marqueront son destin. Comme l’auteur du séminaire le souligne à plusieurs reprises, théorie et clinique sont ici indissociables, la premiere permettant seule d’affronter les difficultés de la seconde.

Note des transcripteurs

Avec les pages qui suivent le lecteur dispose d’un second séminaire de Solange Faladé, qui en avait approuvé la publication avant son décès en juin 2004. Antérieur de deux ans à Clinique des névroses , ce séminaire met en place les repères fondamentaux pour saisir ce que l’expérience analytique, éclairée par Lacan, nous a appris à nommer le sujet, dans le sillage des questions posées par Freud autour du moi. Comme dans le recueil antérieur, l’auteur aborde les difficultés de la clinique avec l’appui des textes de Freud et des enseignements de Lacan, pris dans leur mouvement et aux différentes étapes de leur formation. Il ne s’agit pas d’un exposé mais d’une confrontation, où nous voyons la théorie analytique, toujours en recherche et en marche, s’élaborer à partir du discours de l’analysant.

« Tout discours prend ses effets de l’inconscient (1) » C’est ce qui nous a guidé dans la transcription , fidèle aux mêmes principes que pour l’ouvrage précédent : suppression des répétitions pertinentes à l’oral, mais qui alourdissent l’écrit, découpage de longues phrases pour mieux faire apparaître la scansion marquée par l’accentuation parlée. Nous nous sommes toujours tenu aux signifiants utilisés par l’auteur (mettant entre crochets les rares ajouts destinés à faciliter la lecture) et à sa remarquable syntaxe, propres à retenir le lecteur et à éveiller sa capacité d’entendre .

(1) J.Lacan , Écrits, p.827.

Emmanuel Koerner et Marie-Lise Lauth


Après la parution de Clinique des névroses en 2003, voici un nouveau Séminaire proposé au public grâce, en particulier, à la transcription minutieuse de Emmanuel Koerner et de Marie-Lise Lauth.

Je rappellerai rapidement que Solange Faladé a accompagné Jacques Lacan depuis 1952 et a suivi toutes les étapes de son enseignement. C’est en tant que témoin de cet enseignement qu’elle a eu la préoccupation de transmettre cet héritage à ses élèves.

Durant les années d’enseignement dans le cadre de l’Ecole freudienne qu’elle avait créée en 1983, elle a eu le souci de transmettre la psychanalyse dans le sillon de Freud et de Lacan.

Les Séminaires ne sont pas publiés chronologiquement, le premier livre Clinique des névroses rendait compte des enseignements de 1991 à 1993. Le Séminaire Le moi et la question du sujet est antérieur, 1988-1989, il reprend des notions et des concepts fondamentaux pour la psychanalyse : la naissance et la constitution du sujet humain telles que Lacan les a théorisées à partir de Freud.

Ce Séminaire éclaire de façon très précise comment, émergeant par la parole, le sujet se met en place et subit les contraintes du signifiant qui marqueront son destin.

Dans ce parcours, Solange Faladé montre comment Lacan a emprunté aux sciences dites « affines » (linguistique, logique, mathématiques) pour étayer son argumentation et donner à la psychanalyse des outils qui, tout en étant en lien avec la science, lui échappent tel que l’objet a. Comme le voulait Freud, et comme Lacan a pu le faire, Solange Faladé réinterprète les mythes fondamentaux de la psychanalyse ceux d’Œdipe et de Totem et Tabou dans leurs effets de vérité.

Durant tout son enseignement, Solange Faladé a insisté sur l’indissociabilité de la théorie et de la clinique, prenant en permanence appui l’une sur l’autre.

Comme elle le fera pour l’ensemble de ses enseignements, Solange Faladé aborde ici les difficultés de la clinique avec l’appui des textes de Freud et des enseignements de Lacan aux différentes étapes de leurs élaborations.

Dès les premières leçons Solange Faladé va souligner le fait qu’on ne peut traiter du moi sans que soit abordée la question du sujet. La plupart des leçons qui traitent de l’émergence du sujet vont amener S. Faladé à démontrer que « l’inconscient est structuré comme un langage ».

Il s’agit pour elle de faire entendre que le sujet émerge d’un rien, ex-nihilo. Le premier cri qui est déjà une prise sur le Réel, il va rencontrer un récepteur qui va donner un sens à ce cri. Du fait de la rencontre de l’Autre et de ses signifiants, lorsque le cri devient parole alors peut se manifester la première demande au lieu du Grand Autre, lieu du Trésor des signifiants ; un signifiant va décompléter cet Autre et ce signifiant qui décomplète cet Autre, ce sera le sujet. Le grand Autre préalable, est celui auquel on a affaire dès qu’on parle, qui se présente comme non barré et dont la castration va se faire connaître au fur et à mesure des demandes.

La décomplétude de l’Autre fait qu’un signifiant s’en va et ce signifiant sera le support de $. Le sujet barré c’est le $, c’est le signifié, celui qui pâtit du signifiant.

Ainsi, le sujet va être un signifiant qui se barre. Ce qui permet de dire qu’un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant.

Du fait des réponses à côté, de la rencontre du manque, du désir de l’Autre, le refoulement originaire (Urverdrängung) va s’inscrire et témoigner de la rencontre de l’inconsistance de l’Autre.

Tout comme le névrosé, le sujet psychotique est un parlêtre, il est barré par le signifiant. Il va mettre en place le premier signifiant S1 qui le représente mais, alors que dans un deuxième appel, le névrosé rencontre le manque dans l’Autre, ce ne sera pas le cas du sujet psychotique.

En effet, du fait de la non rencontre du manque dans l’Autre, le refoulement originaire, lié à ce qui de la demande ne reviendra jamais, ne se met pas en place, et ce sujet sera confronté au rejet du signifiant du Nom-du-Père de sa chaîne signifiante. L’enfant qui sera psychotique ne rencontre pas de réponse, d’où ce « père, toujours appelé, jamais advenu ».

Du fait de la non rencontre du manque dans l’Autre, le signifiant S (A/ ) ne pourra pas s’écrire et le deuxième signifiant correspondant à la deuxième demande S2, ne pourra pas s’inscrire. Ainsi la batterie signifiante S1-S2 ne pourra pas se mettre en place, il ya bien un sujet
S1…..
$
représenté, la barre est bien mise sur ce sujet barré par le signifiant mais il ne rencontrera pas la division, il ne connaîtra pas l’aphanisis, la disparition sous le signifiant S1. Ce sujet ne sera pas dans le discours parce qu’il n’a pas eu accès à ce deuxième signifiant S2. Tous les S1 qui ne rencontrent pas le S2 dans le registre symbolique, vont revenir dans le Réel. Ainsi, ce qui se joue dans ce premier temps de la subjectivation, n’aura pas été symbolisé du fait de l’absence du refoulement originaire et de l’absence d’inscription du Nom-du-Père, le processus d’aliénation-séparation ne se mettra pas en place.

En référence au Séminaire XI de Lacan, S. Faladé reviendra à plusieurs reprises sur le processus d’aliénation-séparation, elle le détaille de la façon suivante :

« L’aliénation et la séparation se passent dans un même temps, on ne peut pas les dissocier, il s’agit d’une mise en relation avec le désir de l’Autre sans que ce désir puisse être nommé. » C’est le temps où le sujet va émerger.

S. Faladé reprend l’articulation signifiante S1 - S2. S1 est le signifiant qui va représenter le sujet mais pour qu’il puisse être signifiant, répondre aux caractéristiques du signifiant, être pure différence, être pure altérité, il faut qu’il soit articulé à un signifiant S2.

Comment ce signifiant S2 se met-il en place ?

A partir de « Ça parle de lui » premier signifiant S1, le sujet va écouter, du fait de la rencontre du manque dans le Grand Autre S (A/ ), le sujet $ sera également barré de la jouissance.

Avec la parole, le sujet barré de la jouissance, subira une perte et rencontrera le sens « j’ouïs sens ». Ceci correspond au deuxième temps de l’aliénation, le moment où se produit la division du sujet, l’aphanisis du sujet, le sujet disparaît sous le signifiant S1 qui le représente avec la mise en place de la Vostellungsrepraesentanz, le représentant de la représentation. L’opération de séparation complète celle de l’aliénation. Avec la disparition du S2 du fait de la division induisant le refoulement originaire, un savoir va échapper qui ne reviendra jamais.

Le signifiant S (A/ ) ne répond de la même façon que les signifiants S1 dans l’Autre, c’est l’exception. Il ne peut se signifier lui-même, il ne peut avoir de sens, mais permet que S2 se mette en place. Ce S2 est défini par Lacan dans « Positions de l’inconscient » comme prélevé sur l’être de l’organisme.

Ce deuxième signifiant ne peut se trouver dans le corps du grand Autre, il est marqué du manque de l’Autre.

Une partie de ce S2 viendra à la signifiance, alors qu’une partie constituant l’objet a se détachera par torsion, restera hors sens, et se maintiendra dans les structures de bord, zones investies libidinalement, lieux d’articulation avec la lamelle aux ouvertures corporelles qui font lien entre le dedans et le dehors.

S2 ne pourra pas non plus se signifier lui-même, il va donc y avoir une perte de sens pour ce signifiant et coupure. S2 va s’articuler à S1 et, par rétroaction, va donner sens à S1 alors que a reste de jouissance hors sens, se retrouvera dans le sillage de la paire signifiante.

Les deux temps, celui de l’aliénation et celui de la séparation sont synchrones du fait de l’appel à l’Autre de même que la division qui se fait au niveau de cette part prélevée sur l’être de l’organisme par la nécessité de cette articulation avec le S2 et l’objet chu a, constituant l’objet de la pulsion. La pulsion découle de toutes les demandes qui font la diachronie, à partir du moment où un sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, la pulsion va faire le tour de cet objet a chu sans jamais l’atteindre. Dans cette opération aliénation-séparation, torsion et chute de a, le sujet ne disparaît que sous le signifiant qui le représente, c’est-à-dire le S1, c’est ainsi que peut s’écrire la formule :

SI S2
$ a
et mise en place de la Vorstellungsrepraesentanz.

L’inscription du Nom-du Père est concomitante de celle du phallus en tant –φ. A propos du désir de l’Autre et en particulier de la mère, l’enfant dès lors qu’il a rencontré le manque de cette dernière, va situer l’objet qui lui manque, c’est-à-dire le phallus, sous la forme du pénis, il va mettre un nom sur cet objet imaginaire et s’identifier à cet objet. Il est essentiel que l’enfant passe par la phase où il s’identifie à l’objet du manque de la mère. Cette phase est importante pour l’investissement de sa propre image narcissique et pour le passage du désir de la mère et à l’identification à l’objet du désir de la mère φ à Φ avec la mise en place de la métaphore paternelle.

L’émergence du sujet de l’inconscient est à ce prix.

Cette aliénation qui s’impose au névrosé et au pervers amène la dépendance de ces structures au signifiant. C’est aussi de la partie du S2 qui reste signifiante que va être extrait le trait unaire qui va venir se mettre dans l’encoche faite par le premier signifiant au niveau du sujet en lien avec la matrice de l’Idéal du Moi, ce trait est prélevé sur le corps du grand Autre, père ou mère et cette deuxième inscription sera du registre symbolique.

Pour étayer son argumentation, S. Faladé évoquera les cas du petit Hans et de l’Homme aux loups.

Dans la psychose, le sujet barré par le signifiant ne rencontre ni S (A/ ), ni la castration qui ne peut être subjectivée, S2 reste dans le Réel, le a ne peut être pris dans le fantasme mais apparaît sous la forme de ce qui est halluciné, que ce soit le regard ou la voix.

Le sujet psychotique rencontre aussi le désir de la mère mais dans la mesure où il ne perçoit pas vers quel objet se dirige ce désir, ce qu’il rencontre reste dans le Réel, il n’en fait savoir quelque chose que sous la forme de l’hallucination ou du délire. Ainsi Schreber se déguise en femme. Lacan dit que Schreber n’ayant pas pu « être cet objet, ce phallus qui manque à la mère, devient la femme qui manque aux hommes, la femme de Dieu ». C’est au niveau des objets hallucinés que S (A/ ) non subjectivé chez le psychotique produit ses effets que l’on retrouve dans l’hallucination.

Dans cette structure, le grand Autre se présente dans sa complétude, il ne peut y avoir au deuxième temps de l’aliénation la disparition d’une partie du signifiant S2, la séparation ne peut s’en suivre avec la chute de a.

Resté dans la jouissance, le sujet psychotique ne peut pas ouïr le sens, néanmoins il est concerné par quelque chose qui a à voir avec le désir de la mère, ce sens qui le concerne lui échappe, il est dans la pensée à la recherche d’un sens qu’il ne peut pas saisir : Une des raisons qui le fait revenir chez le psychanalyste.

S. Faladé va revenir sur la question de l’exception à partir de S2, cette exception qui permet l’universalité des signifiants qui se trouvent dans le corps du grand Autre.

Cette notion d’exception va lui permettre de reprendre les formules de la sexuation et à partir de l’exception que représente le père de la Horde primitive, celui qui dit non à la fonction phallique en permettant que les autres puissent y répondre, elle va développer la question du père mort et de l’amour du père dans les différentes structures.

D’une leçon à l’autre, S. Faladé revient sur les mêmes notions mais en les étayant, en les approfondissant, et s’il y a répétition, la petite différence qu’elle apporte chaque fois, ouvre de nouvelles perspectives.

La richesse de ce livre est telle qu’il faut en faire la lecture au pas à pas comme le fut son enseignement. Je ne peux qu’encourager le lecteur de ce compte-rendu à franchir le pas d’une lecture qui, au départ, peut paraître difficile pour saisir à travers la lecture qu’en fait S. Faladé, le miel des enseignements de Freud et de Lacan, et d’entrer ainsi au cœur des fondements de la clinique et de la théorie psychanalytiques.

Robert Samacher